Cousinage à plaisanterie : Des valeurs sociales à sauvegarder

Dili Cousinage plaisanterieImage d'illustrationChaque année et depuis 23 ans, le Niger célèbre, le 24 avril la fête de la Concorde nationale. A cette occasion, tous les Nigériens doivent œuvrer pour la paix, l’unité nationale et la cohésion sociale. Le 24 avril est en effet une date dédiée aux accords de paix signés en avril 1994 à Ouagadougou entre la rébellion armée et le Gouvernement de l’époque. La commémoration de cette date anniversaire vise à raffermir les liens d’amitié et de fraternité entre tous les fils et les filles du pays afin de promouvoir les valeurs de la République. Au Niger, le mois d’Avril est considéré comme le mois de la parenté à plaisanterie.

La "parenté à plaisanterie", une importante manifestation culturelle de rire au Niger, est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité. L'inscription du dossier du Niger sur la liste des "Pratiques et Expression de la Parenté à Plaisanterie" a été approuvée lors de la 9ème session du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, tenue du 24 au 28 novembre 2014 au siège de l'UNESCO à Paris. L'expression de la parenté à plaisanterie est une importante manifestation culturelle au Niger organisée sur l'ensemble du territoire national, au cours de laquelle, les artistes gratifient le public, un mois durant, de scènes de rire, à partir des faits tirés de la vie quotidienne des cousins à plaisanterie. Les principales disciplines retenues sont notamment le théâtre, le sketch et l'humour.

Le premier mois lunaire est notamment consacré à la parenté à plaisanterie, parallèlement à d’autres rituels associés. Transmise de manière informelle de génération en génération, la parenté à plaisanterie est un outil de réconciliation et de pacification qui favorise la cohésion et la stabilité des familles, des groupes ethniques et des communautés. Elle favorise l’égalité sociale en termes d’âge et de hiérarchie et encourage le dialogue intergénérationnel.

Tout au long du festival, les populations prennent d’assaut les lieux de rencontres. Les huit délégations issues de toutes les régions rivalisent de talent avec des compétitions ardues ou les vainqueurs reçoivent des cadeaux en espèce et en nature. Ces délégations sont prises en charge entièrement par l’Etat. Presque toutes les troupes artistiques et culturelles du Niger ont fait des chansons de « Tabastaka » à l’exemple de Tébonsé et chawa de Niamey, de wafakey de Tillaberi, de Bonferey de Dosso et des jeunes filles de Tasko d’Agadez.

Des rencontres ponctuées d’anecdotes, d’histoires, le tout à travers des activités culturelles notamment les chants, les théâtres, les sketchs, les contes!. Des évènements au cours desquels chacun racontait les tares de l’autre. Chacun voulant rappeler être le maître de l’autre. Tout cela dans une ambiance bon enfant. Ces activités sont organisées par le Gouvernement via le Ministère de tutelle chaque année dans une région du Niger où tous les acteurs culturels se retrouvent.

Des petites taquineries dans une ambiance conviviale

La parenté à plaisanterie est une pratique sociale qui s’exerce entre individus, groupes et communautés ethnolinguistiques pour promouvoir la fraternité, la solidarité et la convivialité. Elle prend la forme d’un jeu entre deux personnes de deux communautés qui représentent symboliquement les branches mari et femme d’un cousinage croisé de la même famille. Cette parenté résulte souvent d’un pacte ancestral interdisant les conflits ou les guerres entre les communautés en question, et implique que ses membres doivent s’aimer et se porter mutuellement assistance si nécessaire. Les membres ont le devoir de se dire la vérité, de plaisanter ensemble et de mutualiser leurs biens respectifs, en sachant que tout différend doit se régler de manière pacifique. La parenté à plaisanterie se pratique dans les lieux publics, dans les champs, dans les bureaux, aux marchés, aux points d’eau, en famille, etc., au quotidien comme lors d’occasions spéciales : mariages, baptêmes, diverses cérémonies, funérailles, transactions commerciales, manifestations culturelles et de divertissement.

Lors de la prestation d’une troupe culturelle, les attaques verbales venaient de partout. Les béribéris sont les premiers à tirer sur les peulhs. Pour eux, les peulhs ne seraient pas intelligents. « S’il y a un qui est un peu intelligent, soit sa maman est une béribéri, ou bien c’est sa grand-mère qui l’est » clame Fannata. Ou encore, peut-être que sa femme vient de Bilma ou de Guidiguir. La réplique des peulhs ne s’est pas fait attendre. Ils taxent leurs prétendus esclaves de peureux. Quant aux djermas le nommé Hama, lui, traite leurs cousins Touaregs de voleurs, de pingres, de broussards. Pour lui, la parenté à plaisanterie permet de s’amuser, de partager, de fraterniser, de résoudre les conflits. C’est pourquoi elle appelle les autres ethnies à la promouvoir. Une chose est au moins sûre: « la parenté à plaisanterie a de longs jours devant elle car elle est transmise de génération à génération. Cela constitue une force majeure que nous devons renforcer et pérenniser. Bref, c’est un moment fait de rire, d’amusement et de taquinerie»


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Pérenniser la pratique

Le maouri Massalatchi fonctionnaire de l’Etat estime que « c’est une chance inouïe que le Niger ait valorisé cette parenté à plaisanterie, partout où je vois un peulh je le provoque et lui également. Cela solidifie les liens de fraternité et nous épargne de certains conflits. En cas de malentendu, il y’a toujours quelqu’un qui est là prêt à vous départager par des paroles douces, à intercéder par des mots et des phrases ‘’bats la terre, vous êtes des cousins à plaisanterie’’.

Maman Sani le Bagobiri voit en la parenté à plaisanterie une dimension sociale très immense. « Elle nous conforte dans nos positions. Face à un Zarma je me sens supérieur car je suis le maitre, et lui essaie de nier cet état de fait, on se tape les mains, on se taquine, on se fait des cadeaux. On est toujours en bons termes avec eux’’ Je me rappelle comme si c’était hier j’ai emprunté un bus ‘’Faba Faba ‘’ au moment où je devais sortir je voulais prendre mon sac que j’avais déposé juste à côté de moi et mon voisin du bus crie ‘’ramène le sac ce voleur là ; et tout le monde me regardait sans savoir qu’il me provoquait je lui dis sur un ton véhément : moi voleur tu sais à qui tu t’adresses sors de cette voiture, je vais te régler ton compte et il m’a répondu ‘’magobiri hammo’’ j’ai compris que c’est un cousin plaisantin ; et j’ai souri et continuer mon chemin ». Pour lui, si souvent les gens se permettent à rire à gorge déployée, c’est sûrement grâce à la parenté à plaisanterie qu’on essaie de nous montrer avec les pièces de théâtre, les sketchs, les chants et autres. Il exhorte les autorités à poursuivre ces genres d’actions. Elles sont utiles partout et à tous..

Un cousin des Touareg, Dr Ali Ahmadou Enseignant Chercheur va plus loin, vu les vertus sociales de cette culture, il a salué un de leurs vœux qui leur est cher depuis tout petit. Celui de l’institution d’une journée de la concorde dans le pays par le gouvernement où la parenté à plaisanterie trouve tout son sens. Et, je viens d’apprendre que cela a été fait. Selon lui ce ‘’ Bassatarey ou Tabastaka ‘’ remonte à la nuit des temps. Et lorsqu’on est cousin poursuit-il, joyeusement la vérité passe plus facilement. Pour ce qui est de la journée nationale de la concorde, le gouvernement y travaille ardemment pour la magnifier par des actions salvatrices, l’acte posé est louable, noble et digne.

Tout en implorant les mânes des ancêtres de bénir notre pays, il appelle les uns et les autres à plus de fraternité et de solidarité. On est parent, partout où tu vas, tu dois d’abord te dire nigérien avant de dire que tu es de telle ethnie ou telle ethnie.

Aïssa Abdoulaye Alfary

29 juillet 2021
Publié le 28 avril 2018
Source : http://lesahel.org/

 

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